La thérapie existentielle en dix points, d’après Irvin Yalom

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Article publié par Nathanaël Masselot sur Le Cabinet de Philothérapie, www.philotherapie.fr

Irvin Yalom est un éminent thérapeute, entre autres professeur émérite au sein de la prestigieuse université de Stanford, où enseignent nombre de professionnels passionnés et chevronnés (dont de nombreux prix Nobel). Mais outre cette autorité, c’est surtout pour la clarté et la perspicacité de son analyse qu’il suscite mon enthousiasme : psychiatre de formation, il a l’intelligence de s’appuyer sur un énorme patrimoine intellectuel, notamment littéraire (Kafka, Tolstoï, Dostoïevski, Camus…) et philosophique (Spinoza, Kierkegaard, Nietzsche…). Existentialistes au sens large, ces figures nous disent quelque chose de précieux concernant notre existence. Irvin Yalom en nourrit la thérapie tant dans des ouvrages littéraires que dans des groupes thérapeutiques et sur le plan des recherches cliniques.

Dans une courte interview, ce thérapeute estime que « l’existentialisme n’est pas une forme distincte de psychothérapie. (Que) tout psychothérapeute devrait avoir un sens approfondi des questions existentielles qui se posent à chacun ». Et à mes yeux, il convoque ces précieuses références avec bonheur. Comme lui, je partage l’idée que des « saupoudrages furtifs (…) font toute la différence » et qu’une bonne recette ne prend que grâce à de bons ingrédients auxquels un je ne sais quoi est ajouté avec bienveillance. C’est ce plus qui fait toute la différence qu’il nous expose avec patience et générosité (cet ouvrage compte tout de même un millier de pages !).

En 10 points, la thérapie existentielle :

  1. Est destinée aux individus non parce qu’ils seraient malades, mais parce qu’ils existent. Les terreurs existentielles « ne sont pas l’apanage des personnes souffrant de troubles psychologiques ». « Elles participent de la condition humaine ». Par exemple, « la douleur de l’individuation », vient de la quasi inévitable affirmation de soi au cours de notre existence. La thérapie d’Irvin Yalom s’adresse donc à tous les individus conscients de leur existence, et non à ceux-là seuls qui suspecteraient un trouble maladif.
  2. Installe la philosophie dans le réel le plus concret qui soit. C’est une thérapie cohérente et responsable car elle tient ensemble deux exigences majeures : apporter un soutien (par la philosophie) et développer activement ou activer le potentiel qui permet d’affronter le réel et de le vivre d’une manière pleine et riche, humaine. En soutien, elle convoque « ces enjeux existentiels (qui) ont fait l’objet de réflexions et de débats depuis les origines de la pensée écrite ; nombre de philosophes, théologiens et poètes s’y sont consacrés au fil des siècles (…) ; il s’avère rassurant de s’engager sur un chemin balisé de tous temps par les plus grands penseurs de l’humanité ». Et elle les ramène à notre existence réelle : « pour douloureuse qu’elle soit, la confrontation aux fondamentaux de l’existence se révèle être thérapeutique. Un bon travail thérapeutique s’accompagne toujours d’une épreuve de la réalité et de la recherche d’avancées personnelles ». Ainsi la thérapie trouve naturellement ses ressources dans la philosophie qui, quant à elle, se fait naturellement thérapeutique : « La tâche du philosophe, tout comme celle du thérapeute, consiste à lever le refoulement, à remettre l’individu en contact avec quelque chose qu’il a toujours su (…) Le philosophe et le thérapeute se doivent avant tout d’encourager l’individu à regarder au fond de lui et à assumer sa situation existentielle ».
  3. Est loin d’être une invention de toutes pièces, mais résulte du perfectionnement des petits « plus » qui font le succès d’une thérapie. Et Freud lui-même y avait recours ! L’étude des notes de Freud, constate I. Yalom, « frappe par la quantité innombrable de ses autres interventions thérapeutiques ». « Les « petits plus » de Freud ont indéniablement constitué de puissantes interventions ». C’est donc d’abord un constat doublé d’une reconnaissance : « le clinicien expérimenté, j’en suis convaincu, opère souvent dans un cadre existentiel implicite ». Il en naît une thérapie à la fois familière et inédite : « L’approche existentielle redistribue sur un mode inédit les catégories et les groupes usuels de l’observation clinique ».
  4. Se préoccupe essentiellement de l’existence, pas seulement de l’intériorité émotionnelle. Comment l’exprimer plus avec plus d’évidence ? « Chaque individu, à un moment de sa vie, traverse une phase de réflexion profonde qui l’amène à se confronter aux enjeux existentiels ultimes ». Pour y répondre, « la thérapie existentielle constitue une approche dynamique de la thérapie s’attachant aux enjeux se trouvant au coeur de l’existence individuelle. Je suis intimement persuadé, ajoute-t-il, que la grande majorité des thérapeutes expérimentés, quelle que soit leur école d’appartenance, recourent à nombre de ses moyens existentiels que je me propose de décrire ».
  5. Est inévitable car elle résulte de notre existence et s’y articule intimement. « La dynamique psychique d’un individu s’articule donc autour de forces, de motivations et de peurs, conscientes et inconscientes. (…). C’est à cet endroit charnière que la thérapie existentielle se sépare des autres thérapies dynamiques, car elle se fonde sur une vision radicalement distincte de ces forces, peurs et motivations qui interagissent chez l’individu (…). L’approche existentielle met l’accent sur (…) un conflit qui survient lors de la confrontation de l’individu aux fondamentaux de l’existence, à certains enjeux ultimes, certaines caractéristiques intrinsèques qui participent, sans échappatoire possible, de l’existence d’un individu dans le monde ». Au nombre de ces situations, l’auteur traite essentiellement de la mort, de la liberté, de l’isolement fondamental et de l’absence de sens. Qu’ils soient conscients ou non, pleinement avoués ou partiellement dissimulés, revendiqués ou timidement tus, ces éléments n’en sont pas moins le tissus de l’existence fondamentale de tout un chacun aujourd’hui.
  6. Accède aux fondamentaux de notre existence. « Si nous pouvons mettre entre parenthèses ce quotidien ou nous en distancier, si nous réfléchissons intensément à notre « situation dans le monde », à notre existence, ses limitations, nos possibilités, si nous accédons au socle qui sous-tend tous les autres, alors nous nous confrontons immanquablement à ces fondamentaux de l’existence, à ces « structures profondes » que je désignerai (…) par l’expression « enjeux ultimes » (…). Si nous devons mourir, si nous constituons notre propre monde, si chacun d’entre nous est finalement seul dans un univers indifférent, quel sens a la vie ? Pourquoi vivons-nous ? Comment vivre ? S’il n’existe aucun dessein prédéfini, chacun d’entre nous doit alors élaborer le sens de sa vie? Cependant, le sens que chacun donne à ses propres créations peut-il suffire à nous faire supporter la vie ? Ce conflit dynamique existentiel découle du dilemme auquel fait face un être avide de sens parachuté dans univers qui en est dépourvu ».
  7. Privilégie l’existence présente. « Dans l’approche existentielle, l’investigation profonde n’est pas synonyme d’exploration du passé ; elle implique au contraire une distanciation des préoccupations quotidiennes afin de mener une réflexion sur sa situation existentielle personnelle (…). Le passé, ou plus exactement le souvenir que nous en avons, doit son importance au rôle qu’il joue dans notre existence actuelle et à la façon dont il nous a influencé dans ces enjeux ultimes ».
  8. Est une démarche humaniste : thérapie et développement personnel fonctionnent ensemble. C’est selon I. Yalom une différence assez marquée entre les traditions existentielles européenne et américaine : « la philosophie existentielle européenne s’attache aux limites, à la confrontation et à l’intégration sur le plan individuel de l’angoisse de l’incertitude et du non-être. Les psychologues humanistes, quant à eux, s’intéressent moins aux limites et à la contingence qu’au développement du potentiel, moins à l’acceptation qu’à l’ouverture, moins à l’angoisse qu’(…)au sentiment de former un tout avec le monde, moins au sens qu’à l’accomplissement de soi, moins, enfin, à l’être humain comme être séparé et à l’isolement fondamental qu’au Je-Tu et à la rencontre ». Je mets personnellement un point d’honneur à rétablir pleinement cette polarité positive de l’approche existentielle dans nos échanges.
  9. Est phénoménologique. « La méthode « phénoménologique » consiste à accéder directement aux phénomènes (…). Il convient, autant que faire se peut, de « mettre entre parenthèses » notre perspective du monde afin d’entrer dans le mode expérimentiel de l’autre (…). La position existentielle dépasse ce clivage sujet-objet et considère la personne (…) comme conscience participant à la construction de la réalité ».
  10. Est profondément humaine, et à ce titre, elle fait voeu et preuve d’humilité. « Je ne prétends pas livrer ici la théorie de la psychopathologie et de la psychothérapie. En revanche je présente un paradigme, un concept psychologique offrant au clinicien un système d’explication (…). Paradigme humaniste, il est en accord avec la nature profondément humaine de l’entreprise thérapeutique . Mais il s’agit d’un paradigme et non du paradigme ; utile pour certains patients mais pas pour tous, utilisable par certains thérapeutes mais non par tous. L’orientation existentielle ne constitue qu’une approche clinique parmi d’autres ». Ayant dit cela, Irvin Yalom, me semble-t-il, a porté cette approche à un degré de perfectionnement suffisamment important et l’a gonflée d’un humanisme tel que cette orientation thérapeutique soit accessible et bénéfique à tous. Il reconnaît dans une interview que le système de remboursement américain est si onéreux que les praticiens sont encouragés à développer des thérapies très brèves, s’imposant souvent des limites extrêmement contraignantes et atteignant des résultats modestes voire précaires. La démocratiser, en faire une possibilité pour qui désire la pratiquer, telle est l’ambition que je porte aujourd’hui.

Sources: