Combien de fois ai-je entendu mes patients dire: “ je ne m’aime pas !”. Mon expérience clinique m’a amené à comprendre ce qui se jouait derrière cette “ croyance“ souvent vécue comme une fatalité. L’expression “ je n’aime pas” comporte en soi de nombreux sens qui se combinent. Cela peut signifier tout autant “ mon apparence ne me plait pas “, mais aussi : ” je suis un incapable”, “ on ne peut pas compter sur moi” , “ je gâche la vie des autres”, “ je ne mérite aucune considération”.
Une image dégradée de soi-même peut avoir des origines multiples : violence physique ou psychique, accident, maladie, vieillesse mal vécue. Les causes peuvent être récentes ou lointaines. De simples mots, en apparence insignifiants, entendus et répétés dans notre enfance, peuvent affecter notre présent d’adulte en altérant notre rapport à nous même et aux autres.
Que mon image ne me plaise pas en permanence est parfaitement normal. Il y a des jours où je me trouve plus ou moins à mon avantage. D’ailleurs, cela peut-être un indicateur utile, un signal qui m’est envoyé : “ Il faut prendre plus soin de toi, te soigner, te reposer“. A la fois sujet et objet, je fais de mon mieux pour faire coïncider mon moi intérieur et mon moi extérieur.
Une image saine de soi est une image suffisamment stabilisée et acceptée pour me permettre de me construire et d’évoluer dans l’espace et le temps. Mais parmi les personnes souffrant de déficit narcissique, il en est autrement. Il y a celles qui se construisent une image d’elles-mêmes qui ne leur correspond pas, d’autres encore courent après une image labile, toujours insatisfaisante. Certaines personnes peuvent mener cette quête jusqu’à l’épuisement parce que la reconnaissance qu’elles cherchent est absente du regard de l’autre.
Quand je me regarde, tout compte fais est-ce bien moi que je vois ? N’est-ce pas plutôt l’idée que je m’en fais ? Suis-je maitre de mon image sachant qu’elle a été modelée par tout un ensemble de déterminismes familiaux et sociétaux ?
Mais plus que tout ce qui va déterminer le rapport que j’entretiens à mon apparence est cette question qui hante tout humain: Suis-je digne ou non d’être aimé ? Etant donné que je suis un être incarné, possèdent un corps et un esprit, être aimé passe nécessairement par mon apparence. Non pas une apparence formelle ou plastique, mais une apparence habitée par un cœur et par une âme.
Les dégâts psychiques sont oh combien importants chez un enfant qui ne se sent pas désiré. Quelque part, ne pas être désiré, c’est être rejeté en tant qu’être incarné. Cet état dégrade l’image mentale que l’on a de soi et affecte l’être dans ce qu’il a de plus intime. Le sentiment de ne pas être désiré se retrouve aussi dans l’impression qu’éprouvent certaines personnes d’être transparentes, voire invisibles aux yeux des autres. Cette terrible impression peut conduire à une réelle dématérialisation de l’être sur un plan physique et / ou psychique. Ne se sentant pas aimée-désirée, le risque est de prolonger inconsciemment ce sentiment en se disant : « si je suis invisible c’est que je mérite pas d’être vu ». La personne peut s’en prendre alors à sa corporalité dans laquelle se reflète son mal être. Je pense aux personnes anorexiques qui, se sentant mal aimées, choisissent de disparaître aux yeux du monde en se privant de nourriture.
Avoir été violenté ou ne pas se sentir désiré peut donc provoquer des atteintes plus ou moins sévères à son image et à l’estime que l’on se porte. Ceci pouvant mener à des états de déréalisation ou de dépersonnalisation. Ces souffrances psychiques peuvent se manifester à travers des réactions excessives et, en apparence, contradictoires : forte dévalorisation de soi ou à l’opposé un narcissisme démesuré, mais aussi un rejet des autres ou au contraire un attachement excessif.
En tant que thérapeute, je considère qu’il n’y a aucune fatalité. Nous sommes en permanence en quête de nous-même. Parfois nous nous égarons, mais il y a toujours des solutions pour se retrouver et se vivre pleinement dans son être incarné et unifié.
Par exemple, admettons que je me trouve trop gros et que j’en souffre. Ce constat auquel je fais face peut m’être profitable. Compte tenu de ma taille je pèse trop ! Donc je vais prendre des mesures pour remédier à ce problème. Mais bien souvent, si je surréagis à un état, c’est que la problématique est plus profonde et qu’en fait le rejet de mon apparence n’est que l’arbre qui cache la forêt.
La manière dont je me vois et me ressens de l’intérieur est le fruit d’un long processus mettant en jeu mon histoire personnelle et les émotions qui s’y rapportent. Je m’aime ou je ne m’aime pas, dépend de ma relation aux autres mais aussi de la manière dont j’ai su valoriser ma vie.
Les cas sont nombreux parmi les sportifs handisports, les intellectuels, les scientifiques ou encore les artistes qui ont trouvé dans l’accomplissement d’une activité un levier de sens tel qui leur aura permis de se défaire de l’image dégradée qu’ils avaient d’eux mêmes. C’est en se réalisant dans la vie qu’ils ont su acquérir leur beauté !
“ Même si la vie semble difficile, il y a toujours quelque chose que vous pouvez faire et réussir”
Stephen Hawking
Être fier de soi, c’est bien souvent avoir surmonté difficultés et obstacles et en être sorti la tête haute. La vie est faite d’épreuves, il ne faut pas en avoir peur surtout si on veut les dépasser. Pour avancer, il faut se tenir debout et sans cesse se renouveler, c’est à dire aussi être capable de remise en question. Et si le goût de la vie vient à nous manquer il ne faut pas tarder à s’y réinvestir en recherchant des sources de motivation.
A coté de la psychodynamique qui explore l’inconscient, l’AEL (Analyse Existentielle et Logothérapie) proche du comportementalisme et de la Gestalt est solution efficace pour relancer la dynamique de vie d’une personne quand celle-ci est enrayée. Moins connue en France que dans nombre de pays occidentaux, l’AEL a été créée dans les années 50 par Viktor Frankl, médecin psychiatre disciple de Freud et d’Adler. Cette thérapie consiste à donner de l’importance à la dimension vécue de la personne. Tout en libérant la parole, elle convie à une introspection qui permet au sujet de renouer et de développer ses ressources et ses valeurs propres. Il s’agit là de révéler ce qui en dehors des déterminismes constitue l’ossature de notre être et définit notre singularité.
Pour s’aimer, il faut bien se connaître, il faut s’accepter tel qu’on est, enfin il faut agir de manière à donner du sens à notre existence.